Deux inscriptions à la croix de Malte

  le tombeau du Commandeur à Martrin et la croix de St-Laurent à Plaisance

 

 

      La première de ces inscriptions est gravée sur le Tombeau du Commandeur de Martrin, c'est-à-dire sur le couvercle d'un sarcophage de  grès actuellement placé au milieu du cimetière. Le texte, qui est  aujourd'hui malheureusement illisible par suite de l'action des intempéries, a été lu pour la première fois en 1854 par l'abbé Coudomiès, curé de Lardeyrolles  (commune de Castanet) : cf. Mémoires de, la Société des Lettres, III, 707. Le nom du commandeur serait « Penegra de Salicio ». Quelques vingt ans plus tard, P. Foulquier-Lavergne (Ibidem, XI, 181) a repris  presque mot pour mot la description de son méritoire prédécesseur - sans le nommer - et donne une nouvelle version « Penangre de Salicio » en remarquant fort justement que l'écusson central, gravé au pied d'une croix latine,  elle-même surmontée d'une croix de  Malte, porte les armes parlantes du défunt, à savoir un saule.

     En réalité, comme l'indique explicitement un manuscrit inédit, en langue d'oc, daté de 1491, le  commandeur en question s'appelait Penavayra del Sales ou, si l'on veut, en francisant son nom, Pénavaire du  Salès : De1dit membre (il s'agit de Martrin) est commandaire fraire Penavayra del Sales. La  latinisation en Salicio était exacte puisque saletz désigait « le saule » en ancien provençal. En réservant pour une étude plus développée une enquête complémentaire sur Martrin, ses monuments et ses commandeurs, j'ai voulu  ici  simplement rectifier deux lectures en partie erronées et surtout restituer un nom authentique qui fleure bon le terroir languedocien et gascon : Penavayra est en effet un toponyme ruthénois, puisqu'il désigne une porte  de la Cité de Rodez, et un anthroponyme du Comminges attesté au XIIesiècle.

 

       La seconde inscription est gravée sur une croix qui, hélas, malgré son grand  intérêt artistique et linguistique, gît en morceaux depuis plus de dix ans près de l'église Saint-Laurent, dans la commune de Plaisance. Ce monument oublié a été néanmoins signalé en ces termes, en 1974, par feu l'abbé Félix  Sirgue, dans la plaquette qu'il a consacrée  à Coupiac (p. 56, avec photographie) « Une croix remarquable était dressée près de l'église en ruine de Saint-Laurent. Malheureusement étant tombée accidentellement elle est en  trois morceaux. Elle comporte des fleurs  de lis et des croix de Malte, plus une inscription difficile à déchiffrer ». Sans vouloir insister sur le navrant état d'abandon de l'église Saint-Laurent qui fut donnée au XIIe siècle à  l'ordre de Saint-Jean par le vicomte  de Broquiès et qui fut par la suite ornée par notre commandeur Pènavaire du Salès dont on retrouve les armes parlantes sur une des clefs de voûte transportées en 1958 dans le nouvel oratoire de  Notre-Dame de Massiliergues (commune de Coupiac), sans vouloir non plus trop souligner le triste fait que le nombre des fragments de la croix est aujourd'hui supérieur à trois et qu'il a tendance à se multiplier, je me contenterai  de proposer une lecture de l'inscription qui est gravée distinctement encore, en majuscules gothiques, de part et d'autre de la niche centrale. A gauche, un S à l'envers qui est souvent employé comme signe de séparation et qui ne  joue ici  qu’un rôle ornemental. A droite, deux lettres séparées, S et L, qui ne peuvent être que des abréviations, en l'espèce Sant Laurent. Comme le creux central a probablement servi à abriter des reliques, je pense que le  texte, rédigé en langue d'oc, peut être ainsi transcrit et traduit.

                 I BOCEL DE Sant Laurent

            « Un morceau de Saint Laurent »

     En réservant également pour un autre travail (Inventaire des inscriptions en langue d'oc antérieures au XIXe siècle) les commentaires philologiques qu'appelle le mot bocel, forme dialectale de morsel, j'ajouterai que la juxtaposition sur la même croix de majuscules et de minuscules gothiques permet de  dater approximativement ce monument de la fin du XIVe siècle. L'exemplaire de Saint-Laurent de Plaisance porte à 22 le nombre d'inscriptions en langue d'oc jusqu'à présent recensées en Rouergue.

André Soutou

REVUE DU ROUERGUE N°127 JUILLET-SEPTEMBRE 1978