LA COMMANDERIE DES HOSPITALIERS DE MARTRIN

  

HISTOIRE

 

I - Les débuts: L'hôpital de Saint-Laurent (XIIe-XIIIe s.)

 

      Le centre primitif de la Commanderie des Hospitaliers de Martrin était situé vers le milieu du XIIe  siècle à Saint-Laurent, localité qui fait maintenant partie de la commune de Plaisance. L'église (aquella gleisa de sancto Laurentio que es entre Curvalla e Copiag) ainsi que les droits qui lui étaient attachés (gleisatgue, prononcer "gleisatje") furent alors donnés à l'Ordre (charte ACLP 89 approximativement datée de 1160) par le vicomte de Broquiés et par son vassal Escafre, seigneur de Curvalle, auxquels se joignirent Raymond-Gui de Comba Orseira "Combe des Ours", ancien nom de l'actuel Camboussière, commune de Plaisance), vassal lui-même du seigneur de Curvalle, et sa femme Guida , qui en cette occasion firent entrer leur fils Bertrand dans l'Ordre de l'Hôpital: e dono i Bertran lor fill a l'Ospital et ad aicella gleisa per remissio de lors armas e de lor parentor ("Ils donnent à l'Hôpital et à l'Eglise St-Laurent leur fils Bertrand pour le salut de leur âme et celles de leur lignage") Cette première donation fut confirmée un peu plus tard, vers 1175, par une bulle du pape Alexandre III dans laquelle sont énumérées les églises du Rouergue relevant des Hospitaliers, parmi lesquelles figure l'église de Martrin (ecclesiam de Martrin): il faut entendre par là non pas l'église du village actuel, mais l'église même de St-Laurent qui s'appelait alors de son vrai nom St-Laurent de Martrin, ainsi que le confirme un texte postérieur, précisant que Uc del Ser était en 1241 comandaire del espital de S. Joan de S. Laurenh de Martrin ("commandeur de l'hôpital de St-Jean, à St-Laurent de Martrin").

      La charte de fondation précisait encore que le premier représentant de l'Ordre à la commanderie provisoire de St-Laurent s'appelait Raimun Aribert et qu'il fut chargé d'implanter quelques pionniers dans les lieux: los homes que Raimuns aduzeria per estatgua ni per maisos a far ("les hommes que Raymond Aribert instalerait à demeure pour y construire des bâtiments"). Le bois de construction et de chauffage seront fournis par le généreux seigneur de Combe Oursière: e dona ad usa et ad espleicha tot sos boschs ells paisius per condersers a far maisos et a fug ardre on que Raimuns o agues ("Raymond leur donne le droit d'exploiter librement le matériel de construction et de chauffage qu'ils trouveront dans les bois et les taillis de tout son domaine").

       Le siège de cette commanderie originelle qui est aussi nommée maio ("maison") dans la charte de 1241 précitée (Uc del Ser de la maio de Martrin comandaire) devait probablement être située au lieu appelé de nos jours Les Mayous (Cne de Plaisance) et auparavant au XVIIIe siècle, la Mayou, à environ 1,5 km au sud de St-Laurent. Si l'on remarque qu'un vieux chemin menant de Curvalle à Coupiac et à Brousse-le-château passe par les Mayous et les abords de St-Laurent, le fait qu'en 1241 Uc del Ser était commandeur de la maio et de l'espital indique de plus que la Commanderie en ses débuts était avant tout un hôpital chargé de secourir les voyageurs en détresse.

      Les ressources matérielles étaient assurées par divers droits prélevés sur quelques exploitations agricoles éparpillées dans les environs. En plus du domaine de l'église St-Laurent, les Hospitaliers avaient successivement reçu les  donations suivantes :vers 1160 la moitié du mas de La Crodz (La Crous, cne de Brasc) et des biens à Camboussières ; vers 1176 le mas de Gazelles (cne de Montclar), une vigne à Crouzet (cne de Plaisance), le mas de Coudayrolles (cne de Martrin); enfin, en 1284 le mas de La Caze (cne de Plaisance) dont la limite orientale est ainsi précisée: coma s'en dessen lo rieu de Solairol entre Rieu Cros ("en suivant le ruisseau de Soulayrol qui descend jusqu'à Rieu Cros").

      La commanderie de St-Laurent semble avoir duré prés d'un siècle et demi, jusqu'au début du XIVe siècle. Les documents conservés au Fonds de Malte de Toulouse nous font connaître le nom de quelques commandeurs : R.Feran en 1225 (comandaire de Marting), Uc del Ser en 1241 et 1242, Guillem Desquier en 1259 (comandaire de l'espital de Martrihn), Pons Fabre en 1284 (tenen loc de comandador ... a Martinh). A cette époque l'église paroissiale de Martrin ainsi que son cimetière étaient situés à 500m à l'Est du village actuel, entre la croix et la fontaine de St-Clement, au pied d'une colline (cote 597) où l'on voit des ruines, nommées le Vieux Martrin, qui marquent probablement l'emplacement d'un ancien château dont la juridiction s'étendait jusqu'à St-Laurent.

 

II -Vicissitudes de la commanderie de Martrin (XIVe-XVe s.)

      Les deux siècles suivants (XIVe et XVe. s.) voient à la fois le développement territorial de la commanderie et son déclin. Cette courbe ascendante puis descendante est jalonnée par deux faits bruts. D'abord, en 1349, selon les chiffres fournis par le Livre de l'Epervier , qui est le cartulaire de Millau, Martrin comptait 73 feux auxquels s'ajoutaient les 15 feux de St-Laurent et aussi, comme nous le verrons, les 41 feux de Ferrairolz ainsi qu'une partie des 56 feux de la paroisse de St-Michel de Caistort qui englobait les habitants du Cayla (cne de Martrin). Ensuite, en 1491, suivant le témoignage d'une Visita de Saint-Felix,  c'est-à-dire du compte-rendu d'une inspection de la commanderie de St-Felix, Martrin n'avait plus que XXXI habitans fasens fuoc, les chiffres pour lo Cayla et Fareyrolas n'étant pas fournis. Que s'était-il donc passé? Malgré le petit nombre de documents conservés on peut se faire tout de même une idée approximative de l'évolution de la commanderie en ces deux siècles.

       En premier lieu, le territoire de la commanderie, qui au XIIe et XIIIe siècles, n'excédait guère les limites de la paroisse de St-Laurent, comprend maintenant deux groupes importants de possessions nouvelles: d'une part, le village même de Martrin ; d'autre part, la seigneurie du Carla et la co-seigneurie de Farreyrolles.

      Le rattachement de Martrin et sa croissance ultérieure, antérieurement à la date de 1349, sont indirectement indiqués par deux documents du début du XIVe siècle. Alors,que les chartes de 1225, 1259 et 1294, déjà citées, ont été rédigées chez trois notaires de Curvalle appartenant à la même famille (B.Audons que la scrius l'an de la encarnacio de nostre sennor om comta MCCXXV ans; puis P.Audon publicus notarius de Curvalla en 1259; enfin G. Audoni notarius en 1284) en 1328 c'est un notaire de Martrin même qui instrumente pour P. de Clarmon lequel est qualifié de comandaire de S. Felis e de la maio de Martrin.

       Il est probable qu'à cette dernière date la maison de St-Laurent a été déjà transférée à Martrin où se dresse maintenant une nouvelle église paroissiale, dédiée à Saint Jean patron des  Hospitaliers, en emplacement de l'ancienne église St-Clément du Vieux Martrin dont le site est désormais abandonné. Cette hypothèse s'appuie sur un deuxième document qui est aussi daté de 1349, comme la liste des  paroisses du livre de l'Epervier, et qui concerne le château d'Esplas (cne de Rebourguil, où vient de s'installer un nouveau seigneur, nommé Bernard de Martrin. Comme parmi les témoins de l'acte en question il y a Helyot de Martrin, alors commandeur des Hospitaliers d'Espalion, il est permis de supposer 'que le nouveau seigneur d'Esplas avait acquis son nouveau château - dont la construction remonte au plus tôt en l'an 1261, date de la constitution de la baronnie d'Esplas, détachée de la baronnie du Pont de Camarés - avec l'aide de l'Ordre qui avait acquis, semble-t-il, son domaine ancestral et qui lui devait une compensation.

       Le rattachement du Cayla et de Farreyrolles est directement attesté par un document de 1392 - dont il sera à nouveau question plus loin - où le commandeur Pons de Panat est ainsi qualifié: Poncium de Panato ... preceptorem domorum Sancti Felicis Vallissorguie,  de Nebiano, de Martrinhio, dicta domo Sancti Felicis deppendente. domini de Caylari ac condomini castri de Ferrayrolis.  ("Pons de Panat, commandeur de St-Felix de Valsorgue, de Nébian et de Martrin, membre de St-Félix ; seigneur du Cayla et co-seigneur du château de Farrayrolles") A propos de ces deux derniers lieux, il faut  savoir qu'en 1246, selon une charte conservée aux Archives de France à Paris (305 n°50), dame Saure du château de Caylus (cne de St-Affrique) possédait "La Bastide de G. Aton, Le Cayla et Ferrayrolles"  ( terra autem domine Saure : haec est Bastida Guillelmi Atonis, Castlarium et Farrairolas). En ce qui concerne la première de ces trois possessions il faut savoir aussi qu'en 1261 cette bastide - c'est-à-dire cette"ville nouvellement bâtie" qui fut fondée vers la fin du XIIe siècle par Guillaume Aton de Curvalle, mari de Saure (il est attesté comme tel en 1199 : Saure uxorismee) et qui sera plus tard baptisé Plaisance par l'administration royale - relève toujours du seigneur de Curvalle (Tarn), qui était alors le damoiseau Bernard-Escafre, lequel reconnaît tenir du comte  de Toulouse Quidquid habeo in bastida que fuit Saure de Castlucio, que est in dyocesi Ruthenensi. C'est sans doute un peu plus tard, vers le milieu du XIVe siècle, que les deux autres posséssions, à savoir Le Cayla et Farreyrolles, sont entrées dans le domaine des Hospitaliers.

      Malgré cette prodigieuse croissance, qui quintuple au moins les ressources de la commanderie, les  habitants de Martrin ne se sentent pas en sécurité en ces temps troublés de la seconde moitié du XIVe siècle et, comme nous l'avons dit le chiffre de la population a brutalement baissé entre 1349 et 1491. A quoi faut-il  attribuer ce dépeuplement massif alors que par ailleurs toutes les conditions d'une vie prospère semblent réunies? Est-ce la faute de la Peste Noire (1346-1353) et de ses séquelles, qui, par exemple, enlevèrent à Millau, en 1361, cinq consuls sur six? Ou celle des Routiers qui jusqu'à leur départ définitif, en 1391, ravagèrent de longues années la région: témoin un consul de la même ville de Millau qui, en 1374, fut détroussé et tué non loin de Rodez. En tous cas, le sentiment d'inquiétude qui avait poussé les deux principales villes du Rouergue à s'entourer d'une ceinture de remparts (Rodez en 1350, Millau en 1357) s'empara à son tour des  habitants de Martrin qui ne bénéficiaient plus dans les environs immédiats de la protection d'un château-fort. C'est pourquoi vingt ans après l'attaque du château voisin de Coupiac par une bande de Routiers venus de  Lautrec, en Albigeois, et quelques années à peine aprés l'occupation par les Anglais de Plaisance (1384) et de Coupiac même (1387), il demandèrent en 1392 au commandeur Pons de Panat la permission de bâtir une tour  contre l'église (turrim adherentem ecclesiae) où ils pourraient se retirer en temps de guerre et y mettre leurs biens en sûreté (quod dicta turris erat utilis et necessaria dictis hominibus et habitantibusdicte ville et toscius juridictionis Martrinhi pro conservatione suarum personarum et bonorum tempore guere ): cette tour-refuge n'est autre que le clocher actuel de l'église. Ironie de l'histoire, la tour de Martrin fut construite juste un an après l'expulsion des Routiers, refoulés sur la Lombardie en 1391.

       Au début du XVe siècle, comme en 1392, Martrin est encore administé directement par le commandeur de St-Félix, conjointement à d'autres membres de la même commanderie: c'est ainsi qu'en 1421 Gaillard Montet est qualifié de "précepteur de la maison et commanderie de St-Félix, de La Bastide-Pradines, de Martrin ainsi que du lieu du Cayla et de ses dépendances "( a nobili et religioso viro domino fratri Galhardo Montet, milite, preceptore domus et preceptorie Sancti Felicis Vallis Sorgie, de Bastida de Pradinis, de Martrinhio, loci de Caylari et membrorum suorum) Cela signifie que l'importance croissante du membre de Martrin dont le territoire s'accroît toujours (un registre de 1422 contient les reconnaissances des lieux de Martrinh, de Carlari, de Ferrairolis, de Plazencia et de Ferreto) attire davantage l'attention de la direction centrale de la commanderie. Mais d'un autre côté, l'absence de commandeur local pourrait indiquer qu'en cette deuxième décade du XIVe siècle l'Ordre ne disposait pas encore sur place d'un château suffisant pour assurer la sécurité d'un commandeur résidant sur place: comme on le verra plus loin, le représentant des Hospitaliers n'avait pour se protéger qu'une simple tour, distincte de la tour-clocher des habitants.

      Mais la situation va changer vers le milieu du siècle. En 1458 Bérenguier Aldebert est simplement "précepteur de la maison de Martrin, du  Cayla et dépendances" (Berengarius Aldeberti preceptor domus de Martrinhio. de Caylari et membrorum). En 1469, Pierre Carrade, curé du lieu est en même temps "précepteur de Martrin et de ses dépendances (Honorabilis et religiosus vir frater dominus Petrus Carradi  presbiter et rece tor loci de Martrinhio et membris e jusdem). Un peu plus tard, en 1488, le commandeur Pénavaire du Salés, dont nous reparlerons plus amplement, n'a également que des responsabilités locales: nobilis et religiosus vir frater Penavayra de Salicio preceptor domus de Martrinhio ordinis Sancti Johannis Jerosolomitani, dominus loci de Caylario,  condominus castri de Farerolis. Ce même commandeur est encore mentionné en 1491 dans la Visite dont nous avons parlé: il y est en effet précisé à propos de Martrin, membre de Saint Felis que deldit membre est  comandayre fraire Penavavra deI Sales.

      Le texte de l'inspection méticuleuse à laquelle ont procédé les commissaires de l'Ordre fait apparaître que si l'église et le  clocher- forteresse sont en bon état, en revanche la comman-derie proprement dite et en particulier la tour qui la défendait spécialement sont mal en point. En effet, après avoir noté que en lodit Martrin a un gleysa appellada de Saint Jehan laquala es parroquiala et de sobre es la fortalessa dels habitans ... et la fortalessa est ben reparada per los pageses et parroquians, le procés-verbal, rédigé en langue d'oc fortement  teintée de français, indique par ailleurs que al pe de ladita gleysa a una tor dirruyada laquala lo comandaire a baillada a reparadar et aussi que avem demandat aldit comandador s'il avia trobat estat en ladita comandarie, loqual dist que non y trobet ren.  Ces dernières précisions signifient qu'une première commanderie, défendue par une tour avait été bâtie prés de l'église, qu'elle avait été non seulement en partie détruite mais encore complètement pillée, puisque le commandeur n'y avait trouvé aucun équipement, (estat). Aussi Pénavayre du Salés avait-il été forcé de se fournir lui-même du strict nécessaire. Et le procés-verbal de la Visite donne la liste exacte de ce qu'il s'était procuré: Et a creyssut d'estat ladita commandaria de so que s'en sec : premierement. I. liech de pluma garnit de dos flassadas de coyssi et d'un  pareilh de lensols ; item II payrolad, II pintas, IIII escudelas, II platz ("l'inventaire de la dite commanderie s'est enrichi de ce qui suit: premièrement 1 lit avec édredon, garni de deux couvertures ouatées et d'une paire de draps, en plus 2 chaudrons, 2 pichets, 4 écuelles et 2 plats).

      Les batiments de la commanderie étaient fort modestes. Leurs aménagements utilitaires, étable, grange, cour et basse-cour, ne distinguaient guère ce simple logis des maisons  paysannes avoisinantes: Item plus y a una mayson on a estable et fenial et cort et cortial tout tochan. Quant au personnel, il était réduit à un vicaire, deux domestiques et une bonne : Item le es necessari de  tenir un cappellan o clerc, l vayllet, I porquie et una mayre. Comme on le voit, la vie à Martrin en 1491 n'était pas trés confortable, la population avait diminué, le commandeur était presque dans la pauvreté et le  village, abstraction faite du clocher fortifié, n'avait plus de défense. Comme le constate laconiquement le rédacteur de la Visite: lo luoc de Martrin est luoc desclaux.

       Cependant, malgré toutes les difficultés, Pénavayre del Sales ne baissa pas la tête. Nous savons par le même procés-verbal qu'il avait fait ajouter à l'église paroissiale une nouvelle chapelle, consacrée à Notre-Dame: Item mays lodit comandayre a faicta una cappella en la juridiction de Martrin a honor de Nostra Dama de Salvation, laquala es bien garnida de missal, de calice et de vestimens. Cette chapelle, aménagée en  sous-oeuvre à la base de la tour-clocher, comme nous le verrons plus loin,deviendra le principal ornement de l'église qui adoptera finalement son patronyme.

      D'autre part, des  indices archéologiques montrent qu'il a doté de voûtes gothiques l'ancienne église de St-Laurent où ses armoiries figurent sur une clef sculptée sans parler du tombeau monumental auquel son nom reste lié et qu'il avait sans doute commandé de son vivant. Cette dernière opinion se fonde à la fois sur l'absence d'indication, dans le texte de l'inscription funéraire, de la date du décès et aussi sur le fait que la carrière de notre commandeur ne s'est pas terminée en 1503, c'est-à-dire au moment où Tristan du Salés prend sa succession à Martrin. Prés de trente ans plus tard, en effet, en 1532, on le trouve à la tête du tout petit  établissement des Mayounettes (cne de Ceilhes et Rocozels-Herault),membre de la commanderie de Ste-Eulalie de Larzac: nobilis et religiosus vir frater Penavayre del Sales preceptor de Maysonetis. On pourrait donc penser qu'avant d'être exilé contre son gré, semble-t-il, de son cher Martrin et de se voir relégué dans une minuscule localité située de surcroît dans une autre province, il ait voulu marquer, par la commande de son  propre sarcophage, le désir qu'il ressentait de retourner un jour définitivement au lieu même où il avait si bien oeuvré.

 

 III - Prospérité de la commanderie (XVIe-XVIIIe s.)

      En 1503 Tristan du Salès dirige à la fois la commanderie de St-Félix et le membre local de Martrin : fratem Tristandum del Salez, preceptorem preceptorie domus Sancti Felicis Vallis Sorgie ac de Martrinhio et de Caylario ac omnium membrorum suorum.  Avec lui commence une troisième et dernière période de l'histoire de Martrin, qui verra la construction du nouveau château résidentiel - dont les bâtiments ont été conservés pour l'essentiel jusqu'à nos jours et où séjourneront régulièrement les commandeurs de St-Félix - et aussi le renouveau économique du village. Ce renouveau, favorisé par la période de paix qui se place entre le départ des Routiers, la fin des épidémies et le début dès guerres de Religion (1560), a été  couronné en 1514 par une trés haute distinction royale. En effet, François 1er, tenant compte de l'humble supplication de notre ami et féal Tristan du Salés, chevalier de l'Ordre de Sainct Jehan de Jhérusalem et commandeur de Sainct Felix de valsorge et de Martrinh et considérant que le dit lieu de Martrinh est situé et assis en pays bon et fertil habondant en plusieurs biens denrées et marchandises... décida que Notre plaisir soit luy octroyer ... deux foires l'an... c'est assavoir la première desdites foires au vingt-sixiesme jour du moys de juillet, feste de Madame Saincte Anne (date choisie en l'honneur d'Anne d'Autriche) et la seconde au jour Sainct François, qatriesme jour du moys d'octobre...pourvu que a quatre lieues a la ronde dudit lieu de Martrinh n'y ait aux  jours dessusdits aucunes autres foires.

       Ce texte montre non seulement que la population de Martrin, où il n'y avait, rappelons-le, que 31 feux en 1491, était redevenue relativement prospère, encore que les commandeurs  s'occupaient efficacement des intêrets de leurs administrés. C'est Tristan du Salès qui a fait construire le second château, c'est-à-dire celui qui subsiste et que nous étudierons dans la suite plus en détail. Les  titres mêmes qu'il porte indiquent qu'il exerçait ses activités principalement à St-Félix et à Martrin, tout en administrant le reste de la commanderie, notamment le membre de La Bastide- Pradines où il vient, à deux reprises, le 20 février 1524 et le 16 avril 1526, pour régler certaines affaires locales: l'Ordre posséde en effet dans ce village un grenier fortifié sous l'aurorité d'un bayle nommé alors Roland Daulton. Sans doute  habitait-il alternativement dans ses deux résidences, comme son successeur Antoine de Pène qui en 1544 est ainsi pareillement désigné: Anthony de Pena ...commandeur de St-Félix, de Valsorgue et deldit Martrinh.

       Entre temps, le territoire de la commanderie s'était encore agrandi par rapport à son état de 1422 . Un registre de 1634 est en effet intitulé Recognaissances des directites (possessions rapportant un revenu) sizes es juridictions de Copiac, Plaizance. Montclar, Brosse,(Brousse le Château: il s'agit de l'Hôpital de l'Escabilladouyre- ainsi  nommé en 1775 - situé au sud du Tarn, entre Brasc et Montclar, dans l'ancienne juridiction de Brousse) Lous PIas (Esplas, cne de Rebourguil), St-Juéry ... dépendant du membre de Martrin, dépendant de la  comenderie de St-Félix de Sorgue.

      Il faut noter que le château de Martrin aura plus de chance que celui de St-Félix qui fut détruit en 1577 au cours des guerres de  Religion et qui ne fut rebâti en 1631 que pour retomber en ruine et finalement disparaître. Tout comme la tour-refuge accolée à l'église, il sera toujours maintenu en excellent état. C'est ainsi qu'en 1775 les habitants  du village font le serment solennel de bien et loyalement garder le château dudit Seigneur audit Martrin d'en être les portiers en temps de guerre, de garder de même la tour servant aujourd'huy de clocher dans  l'enceinte dudit château joignant l'église, d'en tenir l'étage haute couverte et boisée à leurs fraix et depens et pour cet effet il leur sera loizible de rendre des outres dans le bois dudit Seigneur appellé Coupiagués. s'il s'en trouve; dans laquelle tour ils pourront s'enfermer en temps de guerre pour la conservation de leurs personnes et de leurs biens, même dans toute autre urgente nécessité.

       De fait, grâce à cet entretien attentif, le patrimoine monumental de Martrin a traversé les siècles sans trop de mal. Si le clocher est resté propriété communale, le château, bien que  partagé en trois propriétés privées, non seulement n'a pas été trop défiguré, mais encore a fait l'objet d'intelligents travaux de restauration. Seule, la tombe du Commandeur n'a pas été traitée jusqu'à présent comme  elle le mérite: espérons qu'une meilleure connaissance de ce monument encouragera la municipalité à mieux la mettre en valeur.

 

ANDRE SOUTOU

1980-1988