LE TOMBEAU DU COMMANDEUR
Le tombeau du Commandeur a été décrit comme suit, en 1879, par P. Foulquier-Lavergne de la Société des lettres, Sciences et Arts de l’Aveyron :
“Dans le cimetière attenant à l’église se trouve un tombeau dit du commandeur. Il est creusé dans un bloc de grès fin extrait des carrières du voisinage. IL a 2,25 m de longueur sur 0,95 m de largeur. Sa forme est un carré long. Sur le milieu du couvercle, légèrement convexe, se trouve sculptée en légère saillie une grande croix latine qui offre, au point d’intersection des deux branches, la figure d’un agneau. Un peu plus haut est une autre petite croix à huit pointes pareille à celles qui servaient d’insigne aux chevaliers de Malte et en tout point conforme à celles qui sont gravées sur les bornes du territoire communal. Au pied de la croix on a figuré trois écussons. Le premier présente une sorte de grillage ou de herse ; le deuxième, qui est au centre, porte un arbre surmonté d’une croix couchée et placée horizontalement. C’étaient sans doute les armes parlantes du commandeur enseveli dans le sarcophage qui s’appelait Penangre de Salicio (saule). Ces mêmes armoiries sont reproduites sur les murs du château et sur de vieilles boiseries ; le troisième enfin est vide ou frustre. Les bords de la pierre sont chargés d’inscriptions gothiques, et le reste du tombeau n’offre dans son ornement que quatre médaillons fantastiques de formes assez grossières que l’architecte a gravé sur les côtés.
L’âge de ce monument est inconnu. Cependant les inscriptions latines que nous y avons lues se composent de ces caractères gothiques de forme allongée et nette qui portent le cachet du XVe siècle. Voici ces inscriptions gravées en abrégé :
hic jacet nobilis frater penangra de salicio
deus p.s.(Propitius ?) esto mi. (Mihi ou illi ?)
petivi mi. (Mihi ?)
ir. ir. ir. mi.(Irrevocabilis mihi ?)
sit nomen memor.(Sit nom. memorabile ?)
Ce tombeau ayant été ouvert pendant la Révolution, on y trouva deux épées rongées par la rouille et les débris d’un squelette.”
La lecture qu’il en fit a été empruntée en très grande partie à celle qui avait été proposée d’abord, en1854, par l’abbé Coudomié, curé de Lardeyrolle (cne de Castanet), puis en 1860 par l’abbé Bertrand, curé de Martrin.
Le caractère commun à ces trois lectures est que, faute de documents historiques alors connus, elles déformaient le nom du personnage mentionné par l’inscription. Il ne s’agit ni de “Penangra” ni de “Penegra”, mais de Penavayra de Salicio, c’est-à-dire du commandeur que la Visite de 1491 nomme en langue d’oc Penavayra del Sales.
Le texte commence dans le compartiment rectangulaire placé sur le côté gauche de la croix et continue dans un compartiment de même forme placé sur le côté droit :
hic jacet nobilis S frater /penavayra S de salicio
“ici repose noble - frère / Penavayre - du Sales”
Alors que dans les deux compartiments rectangulaires précédents les lettres sont disposées sur une seule ligne, dans les deux compartiments carrés situés des deux côtés de la croix de Malte, elles le sont sur deux lignes superposées. D’après le curé Bertrand les quatre mots du carré de gauche sont une citation de l’évangile (Luc, 18.13). Quant au quatrième compartiment, nous laissons pour le moment à de plus habiles le soin d’expliquer ces deux lignes.
L’inscription se termine, semble-t-il, sur le pied de la croix où, à défaut des trois mots qui ont été lus soit” Sit nomen memor” soit “Sit nom. mer.”, nous n’avons pu distinguer au total que 2 séries de trois lettres m,e,m et d,n,s qui formeraient les mots :
mem(memento) “souvenez-vous”
dns (abréviation de dominus) “seigneur”
Sur le plan épigraphique, soulignons que le n de dominus n’est pas un N majuscule, mais un n minuscule agrandi.
Les trois dernières lettres qui composeraient le premier mot sont actuellement difficiles a déchiffrer.
Si bien des détails de l’inscription restent encore flous, un fait est cependant certain : le texte n’enferme pas de date. Cette absence étonnante de toute précision chronologique indique, certainement, que le tombeau a été conçu et exécuté du vivant du Commandeur, au moins trente ans avant sa mort, survenue après 1534, alors qu’il n’exerçait plus de fonctions à Martrin depuis l’an 1503. Le tombeau et l’inscription dateraient donc des dernières années du XVe siècle.
Pour les autres détails, en particulier pour les trois écussons, pour la croix de Malte et pour l’agneau sculpté, la description de P. Foulquier- Lavergne est exacte. Il faudrait ajouter cependant que les “quatre médaillons” que l’on remarque sur la cuve du sarcophage sont en réalité des écussons, au nombre de 5, portant la croix latine dressée qui était l’ancien insigne de l’ordre. Croix latine qui coexiste ainsi sur ce monument avec la croix dite ensuite Croix de Malte, après le don de cette île, consenti en 1530 par l’empereur Charles Quint, aux Hospitaliers, qui venaient d’être chassés de Rhodes par les turcs.
André Soutou & Elian Molinié-Tavernier
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